Un grand bal chez Satan

Un lourd portrait ovale qui représentait un caniche noir

Le caniche apparaît souvent dans ce chapitre et le lecteur attentif sait pourquoi: dans Faust de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) le démon Méphistophélès apparaît à Faust comme un caniche.

Marguerite se vit d’abord dans une forêt tropicale

Dans son journal, Ielena Sergueïevna Niourenberg (1893-1970), la troisième épouse de Boulgakov, a décrit, le 23 avril 1935, une réception qu'elle appelle «un bal». Cette réception a eu lieu dans la maison Spaso, la résidence de l'ambassadeur américain à Moscou.

«Je n'ai jamais vu un tel bal de ma vie. Tous portaient l'habit, il n'y avait que quelques vestons et smokings.

On dansait dans une salle à colonnes éclairée par des flots de lumière provenant d'une galerie derrière une grille qui les séparait de l'orchestre, il y avait des faisans vivants et d'autres oiseaux. Nous avons dîné à de petites tables dans une énorme salle à manger avec, dans un coin, des oursons vivants, des chevreaux et des coqs en cage. Pendant le dîner, des musiciens jouaient de l'accordéon.

Dans la salle où nous avons dîné, la table où nous étions installés était recouverte d'un tissu vert transparent et éclairé de l'intérieur. Il y avait des brassées de tulipes et de roses. Je ne parle pas de l'abondance de nourriture, de champagne. À l'étage (c'est un grand et luxueux hôtel particulier) on avait aménagé une salle avec un grill pour les chachliks. Des danseurs y exécutaient des figures sur des chants caucasiens.

Nous avons voulu quitter les lieux à trois heures et demie mais on ne nous a pas laissés partir. Nous sommes partis à cinq heures et demie dans une des voitures de l'ambassade. Un certain Steiger, je crois, un homme que nous ne connaissons pas mais que tout Moscou connaît et qu'on rencontre toujours là où il y a des étrangers, est monté avec nous dans la voiture. Il a pris place à côté du chauffeur et nous, derrière. Il faisait déjà jour quand nous sommes arrivés chez nous.»

Les tulipes sont aussi mentionnées dans ce chapitre, comme beaucoup d'autres détails excentriques caractérisant les fêtes de l'ambassadeur américain William Christian Bullitt (1891-1967) et qui sont décrits aux couleurs vives par Charles Thayer (1910-1969), un des fonctionnaires de l'ambassade, dans son livre Bears in the Caviar (1951) ou Les Ours dans le caviar. Le Steiger dont Ielena Sergueïevna parle était Boris Sergeïevitch Steiger (1892-1937), «le mouchard» qui était le prototype pour Baron Meigel dans le roman.

Bears in the Caviar par Charles Thayer
Bears in the Caviar par Charles Thayer

Sur notre site web vous pouvez télécharger les chapitres de Bears in the Caviar qui décrivent les bals de William Bullitt dans la Maison Spaso en cliquant la flèche ci-dessous.

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Alléluia

De nouveau – pour la troisième fois dans le roman – la chanson Alléluia, écrit par Vincent Youmans (1898-1946) est jouée. Nous l'avons vu apparaître auparavant dans Griboïedov (chapitre 5) et dans la maison du docteur Kouzmine (chapitre 18).

Vous pouvez lire plus sur le charleston Alléluia dans la section section Thèmes, style et forme de ce site web en cliquant le lien ci-dessous.

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Une cheminée remarquablement vaste

Dans mon pays nous mettons notre chaussure à côté de la cheminée à la veille du 6 décembre, pour l'arrivée de Saint Nicolas (280-342), l'ancien évêque de Myra, et toujours le patron des enfants.

La cheminée en Russie était un endroit rituel important comme un sentier qui mène à un autre monde. C'était tant l'entrée que la sortie pour les êtres surnaturels comme les démons et les sorcières, comme dans La Nuit de Noël de Nicolas Vassiliévitch Gogol (1809-1852). L'âme disparaissait par le mitron après la mort. Dans la version de 1936 du roman, Marguerite entre dans l’appartement de Berlioz par la cheminée.

Des hommes en habit... accompagnés de femmes nues

«Les hommes en habit et les femmes nues» – c'était apparemment le dress code au grand bal de Satan. L'invitation que Boulgakov avait reçue pour la réception à l'ambassade américaine en 1935 était accompagnée d'une note manuscrite avec le texte «habit ou veston noir». Mais il me semble improbable que les femmes y étaient nues.

Un frac ou veston noir font également partie du code vestimentaire dans la franc-maçonnerie. L'intérêt de Boulgakov pour la franc-maçonnerie pourrait être expliqué par le fait que, en 1903, Afanasi Ivanovitch Boulgakov (1859-1907), théologien et historien de l'Église, et le père de Mikhaïl Afanasievitch, avait écrit un article sur La Franc-maçonnerie moderne dans sa relation avec l'église et l'état, qui a été publié dans Les Actes de l'Académie théologique de Kyïv. Boulgakov fait référence à la franc-maçonnerie à plusieurs endroits dans le roman.

Afanasi Ivanovitch Boulgakov
Afanasi Ivanovitch Boulgakov

Vous pouvez lire plus sur la franc-maçonnerie dans la section Contexte de notre site web en cliquant la flèche ci-dessous.

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Les invités au ball

Tous les invités au bal de Satan ont quelques caractéristiques communes. Ils sont tous morts, évidemment et, à l'exception des musiciens, ils ont tous fait quelque chose qui les a envoyés en enfer – ou qui aurait pu leur faire aller en enfer. L'avantage de leur mort est que Boulgakov ne devait pas déguiser leurs noms.

Johann Strauss

Le «roi de la valse» est le compositeur viennois Johann Strauss jr. (1825-1899). Son père, Johann Strauss sr. (1804-1849), était déjà réputé lui-même comme le compositeur du Radetzky Marsch.

Mais son fils Johann ou Schani est devenu plus célèbre avec ses valses inoubliables comme An der schönen blauen Donau, le Kaiserwalzer et Wiener Blut, et avec les opérettes Die Fledermaus et Der Zigeunerbaron. À l’époque de Johann Strauss jr. la valse viennoise n'était pas jouée dans les théâtres ou les salles de concert comme c'est l'habitude aujourd'hui, mais surtout dans les salles de danse, aux réceptions ou lors d'autres événements plus mondains.

Johann Strauss jr.
Johann Strauss jr.

Henri Vieuxtemps

Vieuxtemps est Henri Vieuxtemps (1820-1881), un violoniste virtuose belge de Verviers. À l'âge de dix ans il a fait ses débuts à Paris, où il a été introduit par un violoniste virtuose de ma ville natale Leuven, Charles Auguste de Bériot (1802-1870).

Il a fait des tournées de concerts dans le monde entier, il a enseigné au conservatoire de Bruxelles et pendant quelque temps, de 1846 à 1851, aussi au conservatoire de Saint-Petersbourg, où il était le premier violoniste de la cour impériale et du Théâtre Royal. Il a connu beaucoup de succès avec ses propres compositions aussi, parmi lesquelles sept concertos, de la musique de chambre et des compositions pour violon et piano. C'était une pratique commune à cette époque d’engager des musiciens venus de partout dans le monde pour jouer aux réceptions importantes comme ceelles données à la maison Spaso.

Henri Vieuxtemps
Henri Vieuxtemps

Il lui baisait le genou droit

Les invités saluent Marguerite et lui baisent le genou. Certains voient cela comme une référence à la franc-maçonnerie, en notant que les apprentis dans leur initiation devaient découvrir leur genou droit. Et, en effet, les invités au bal embrassent le genou droit de Marguerite.

Initiation d'un franc-maçon
Initiation d'un franc-maçon

Monsieur Jacques

Monsieur Jacques est Jacques Cœur (1395-1456), un négociant français riche qui est devenu surintendant de finances de Charles VII (1403-1461). Il a accordé des prêts importants au roi pour financer ses guerres. Au début de sa carrière il n'a pas eu beaucoup de chance parce que, avant d'avoir réussi, il a été associé à un falsificateur. Plus tard il a été accusé d'avoir essayé d'empoisonner Agnes Sorel (1422-1450), la maîtresse du roi.

Il a été condamné à mort, ce qui a plus tard été commué en bannissement à vie ainsi qu’en une peine pécuniaire. Ses propriétés ont été confisquées pour que le roi ne doive pas rembourser son prêt. Plus tard Louis XI a réhabilité Jacques Cœur à titre posthume. Dans Le Maître et Marguerite, Koroviev l'a appelé «coupable de haute trahison, mais fort estimable alchimiste», mais en fait il ne l'était pas. Il a construit un château magnifique à Bourges, sa commune natale.

Monsieur Jacques
Monsieur Jacques

Dans la première version complète manuscrite du Maître et Marguerite, ce personnage s'appelait Жак Ле-Кёр [Jak Le-Kieur], la translittération cyrillique de Jacques Le Cœur – je ne sais pas pourquoi Boulgakov a ajouté l'article «Le» au nom. Le dialogue avec Monsieur Jacques était également écrit entièrement en français translittéré.

«Аншанте!..» [Enchanté].
«Вотр Мажесте, же лоннёр» [Votre Majesté, j'ai l'honneur].
«Эн верр» [Un verre].
«Милль мерси [Milles merci].

Comte Robert

Le comte Robert, selon Koroviev «l'amant d'une reine», est Robert Dudley (1532-1588), le compte de Leicester et un ami d'enfance de la reine britannique Elisabeth I (1533-1603). Il était le cinquième de treize enfants. Son épouse, Amy Robsart (1534-1560), est morte dans des circonstances mystérieuses, mais non pas, comme a suggéré Boulgakov, à cause d'un empoisonnement. En réalité elle était tombée dans un escalier.

Il y a eu beaucoup de rumeurs d'une liaison entre Robert Dudley et la reine. Beaucoup ont cru que Dudley avait tué sa femme pour se marier avec Elisabeth. Assez ironiquement, la mort d'Amy a rendu un mariage impossible parce qu'Elisabeth était fortement sous l'influence de l'opinion publique. Elle a mis le comte Robert à la tête de l'armée – il a dû vaincre l'Armada espagnole – mais il est mort peu après.

Le comte Robert
Le comte Robert

Madame Tofana

Boulgakov a trouvé le nom de Madame Tofana ou Teofania di Adamo (1653-?) dans l'ouvrage russe volumineux Энциклопедический словарь Брокгауза и Ефрона [Entsiklopeditcheski slovar Brokgauza i Iefrona] ou le Dictionnaire encyclopédique Brockhaus et Iefron, sous le lemme Аква Тофана [Akva Tophana] ou aqua tofana. Elle appartenait à l'une des «dynasties» d'empoisonneurs du XVIIème siècle. Le poison portant son nom, l'aqua tofana, contenait vraisemblablement de l'arsenic et de la solanacée mortelle, aussi appelée Belladone et une des plantes les plus toxiques trouvées dans l'hémisphère occidental. Des enfants ont été empoisonnés en ne mangeant pas plus que trois baies. Aqua tofana est un liquide incolore et insipide, c'était donc un moyen idéal pour tuer des membres de famille ou des époux.

Nous ne savons pas beaucoup de la première Teofania, Teofania di Palermo, qui a été exécutée pour différents empoisonnements.

La deuxième Tofana, Teofania di Adamo (1653-?), était de Naples et aurait reçu la recette de la première Tofana. Elle aurait été guidée par la misandrie et aurait vendu le poison aussi, dans des bouteilles sur lesquelles figurait le portrait de Saint-Nicolas, d'où le nom commercial Manna di San Nicola. Son poison aurait tué au moins 600 personnes. Elle a été torturée en public et exécutée.

La troisième Tofana, Giulia Tofana, a opéré à Rome et aurait été la soeur ou la fille de la deuxième. Elle aurait été condamnée à mort et exécutée au Campo di Fiore.

The Love Potion par Evelyn De Morgan
The Love Potion par Evelyn De Morgan

Une curieuse botte de bois

La curieuse botte de bois est un instrument de torture. C'était un genre de moule qui était mis autour de la jambe et qui était serré graduellement. Quand une sorcière refusait d'avouer, ses jambes étaient cassées avec cet instrument horrible. En anglais cet instrument est appelé Spanish boot, ou botte espagnole.

Le docteur John Fian (?-1591), un maître d'école à Prestonpans (en Écosse) était une sorcière mâle qui était soupçonnée de haute trahison contre le roi. Il était aussi connu comme John Cunningham ou Johnne Sibbet. Il serait finalement brûlé vivant en 1591 à Edinbourg. Il a décrit comment il a été «mis dans la douleur la plus violente et la plus cruelle dans le monde, à savoir la botte espagnole», qui a fait que «ses jambes étaient écrasées et les os et la chair étaient tellement meurtris que le sang et la moelle osseuse faisaient des éclaboussures dans d'énormes quantités».

Frieda

Dans les archives de Boulgakov on a trouvé un extrait du livre Die sexuelle Frage ou Le problème sexuel, écrit par le neurologue et psychiatre suisse Auguste-Henri Forel (1848-1931), avec une note manuscrite: «Frieda Keller - a tué son garçon. Konietzko - a asphyxié son bébé avec un mouchoir». Forel a eu quelques conflits avec l'Église catholique parce qu'il a cru que l'âme et le cerveau ont été raccordés inséparablement.

Forel ne s'occupait pas seulement de ses patients, il était également préoccupé par des réformes sociales. Il a travaillé avec des alcooliques et il était membre actif du mouvement suisse contre l'abus d'alcool. Il était un abstème lui-même. Dans Le problème sexuel, Forel a décrit certains des problèmes sexuels qu'il avait observés dans son cabinet. Un de ses objets d'étude était Frieda Keller (1879-1942), qui avait tué son enfant, et une certaine Konietzko, qui avait étranglé son bébé avec un mouchoir.

Fried Keller a travaillé dans un café dans le canton suisse Sankt Gallen. Le propriétaire du café, un homme marié qui s'appelait Karl Zimmerli, est tombé amoureux d'elle et quand elle avait 19 ans il l'a attirée dans la cave. En mai 1899 elle a accouché d'un garçon dans l'hôpital de Sankt Gallen. Son enfant a été placé dans un centre d’accueil, mais a dû sortir de là après 5 ans. Forel a décrit en détail son état d'esprit émotionnel pendant la période juste avant le lundi de Pâques 1904, quand elle allait revoir son enfant. Mais elle avait entendu dire que les religieuses du centre d’accueil avaient décidé d'envoyer son enfant à sa soeur à Zürich. Elle a pris son enfant avec elle et l'a apporté au bois. Elle a creusé une tombe avec ses mains, a étranglé l'enfant avec un morceau de dentelle et est allée à la maison. Mais l'enfant a été trouvé par les bohémiens après une lourde douche de pluie et Fried Keller a été arrêté le 14 juillet.

Koniecko était une ouvrière de 19 ans de Silésie. Elle est tombée enceinte dans une situation semblable et a étranglé son enfant nouvellement né avec un mouchoir le 25 février 1908. Elle a été condamnée à 2 ans de prison. Cette injonction a été lourdement critiquée en Suisse parce que le coupable réel - le père de l'enfant qui l'avait abandonné - n'a pas été puni.

Boulgakov a combiné les biographies des deux femmes dans le personnage de Frieda, qui peut aussi être une référence au Faust de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), dans lequel Gretchen tue aussi son nouveau-né.

Auguste Forel
Auguste Forel

La marquise

La marquise est Marie-Madeleine Dreux d'Aubray (1630-1676), marquise de Brinvilliers, une empoisonneuse notoire qui, avec l'aide de son amant, le capitaine militaire Jean Baptiste Godin de Sainte-Croix (?-1672), a tué son père, son frère et ses deux soeurs dans le but de s'approprier leur part d'héritage.

Elle aurait utilisé la fameuse aqua tofana pour cela. Il y a des rumeurs disant qu'elle a aussi tué des pauvres auxquels elle rendait souvent visite dans les hôpitaux. Elle a été condamnée à la torture d'eau. Ell a du boire seize pintes d'eau par la contrainte, ce qui était suivi par la décapitation et la crémation.

Marquise de Brinvilliers
La marquise de Brinvilliers torturée

Madame Minkina

Madame Minkina, ou Anastasia Fiodorovna Minkina (1782-1825), était la domestique et la maîtresse du comte Alekseï Araktcheïev (1769-1854), le conseiller militaire du tsar Aleksandr Ier (1777-1825).

Elle était une femme extraordinairement cruelle et pernicieuse – un jour elle a brûlé, aveuglé par la jalousie, le visage d'une bonne avec un fer à friser. Son propre personnel s'est révolté contre elle et l'a tuée en 1825. Alekseï Araksheïev lui-même n'était pas moins cruel que sa maîtresse. Les femmes des fermiers sur son comté Grouzino près de Novgorod étaient obligées de donner naissance à au moins un enfant par an et parce qu'il était fou du chant des rossignols il a fait pendre tous les chats sur son territoire.

Anastasia Fiodorovna Minkina
Anastasia Fiodorovna Minkina

L'empereur Rodolphe

L'empereur Rodolphe ou Rudolf II van Habsburg (1552-1612), l'empereur allemand et fils de Maximilien II (1527-1576), a vécu à Prague et il était le patron des astronomes Tycho Brahe (1546-1601) et Johann Kepler (1571-1630).

En 1572, Brahe a découvert une nouvelle étoile dans la constellation Cassiopeia. Il a décrit cet événement dans son livre Stella Nova. Plus tard il est devenu célèbre parce que cette étoile avait l'air d'être une supernova. Il a prouvé que l'atmosphère des étoiles comme cela a été décrit par Aristote (384 BC-322 BC) n'était pas constant. Johann Kepler était un assistant de Tycho Brahe. Il est devenu célèbre pour son élaboration des lois des mouvements des planètes. Plus tard, Isaac Newton (1643-1727) utilisa ses découvertes pour le développement de sa loi de gravité.

Rodolphe II de Habsbourg
Rodolphe II de Habsbourg

Une couturière de Moscou

La couturière de Moscou est Zoïa Denisovna Pelts, l'héroïne de la pièce de théâtre de Boulgakov L'Appartement de Zoïka. Zoïa a géré un bordel déguisé en boutique de couturière. Ses filles étaient soi-disant modèles et elle était obsédée par le désir de déménager de l'Union soviétique à Paris.

Plusieurs prototypes ont été suggérés pour le personnage de Zoïa. La première aurait été une certaine Adèle Adolfovna Trostianskaïa qui tenait vraiment un bordel déguisé en boutique. Boulgakov avait lu un article sur son procès dans le journal Krasnaïa Gazeta en octobre 1924. Plus tard, il aurait aussi lu un article dans le même journal sur une certaine Zoïa Bouïalskaïa qui a été arrêté parce qu'elle avait un bordel déguisé en un atelier de couture.

Enfin, il y a Zoïa Petrovna Jatova, qui a été arrêtée au printemps de 1921 à Moscou, car elle tenait un restaurant clandestin. Parmi les clients qui ont été arrêtés avec elle il y avait les poètes Anatoli Borissovitch Marienhof (1897-1962) et Sergueï Aleksandrovitch Iessénine (1895-1925), le mari de la danseuse américaine Isadora Duncan (1877-1927).

Zoïa Jatova avait son entreprise dans l'appartement n° 38 de la rue Bolchaïa Sadovaïa n° 10, où elle a séjourné pendant un certain temps. Cet appartement appartenait à l'artiste avant-garde arménien-russe Georgi Bogdanovitch Iakoulov (1884-1928). La femme de Iakoulov, Natalia Ioulevna Chiff (1889-1974), a inspiré Boulgakov pour la description des caractéristiques physiques de sa Zoïa.

Gaïus César Caligula

Caligula est le surnom de Gaïus César (12BC-41). Il était le fils de Germanicus (15BC-19) et Agrippine l'Aînée (14BC-33), et il a succédé à Tiberius (42BC-37) comme l'empereur de Rome. Les gens l'ont traité de «malade mental», parce qu'il a commis d'innombrables actes de cruauté à Rome et il a finalement été tué. Caligula a été élevé dans un camp militaire. Il était populaire parmi les soldats et c'est là qu'il a reçu son surnom Caligula, dérivé du mot latin caligae (bottes de soldats). Dans son temps personne n’utilisait ce surnom, il est devenu seulement populaire parce que les historiens l'ont utilisé tout le temps.

Messaline

Messaline est Valeria Messaline (17-48), la troisième femme de l'empereur romain Claude (10BC-54), le successeur de Caligula. Elle était la fille de Domitia Lepida (10BC-54) et de Valerius Messalla Barbatus (11BC-21). Elle était issue d'une famille romaine respectable, mais elle était connue pour son immoralité.

Dans son œuvre Naturalis historia ou Histoire naturelle, livre X, chapitre 27, l'auteur et philosophe romain Pline l'Ancien [Gaius Plinius Secundus] (23-79) a décrit comment Messaline a défié une prostituée romaine notoire, Scylla, à un concours de sexe. Scylla a renoncé après 25 hommes, mais Messaline a persisté jusqu'à l'aurore. En outre, le poète romain Juvénal Decimus Iunius Iuvenalis] (±60-±133) a décrit dans ses Satires, livre VI, versets 114-135, comment l'impératrice avait l'habitude de travailler clandestinement toute la nuit dans un bordel dans le quartier rouge romain de Suburra sous le nom de Lisisca ou Louve.

Finalement Messaline a été exécutée parce que Claudius a entendu qu'elle avait organisé une conspiration contre lui. Le Sénat romain a alors ordonné une damnatio memoriae ou une damnation de la mémoire, de sorte que le nom de Messaline serait retiré de tous les lieux publics et privés et toutes ses statues seraient démolies. Plus tard, sa fille Claudia Octavia (39-62) deviendra la première épouse de l'empereur Néron (37-68).

Maliouta Skouratov

Maliouta Skouratov avec «sa véritable barbe de feu» est le surnom du noble russe et personnage historique notoire Grigori Loukianovitch Skouratov-Belsky (?-1573), le bras droit de Иван Грозный [Ivan Grozni] ou Ivan le Terrible (1530-1584), le premier tsar russe. Le tsar Ivan avait proclamé la soi-disant опричнина [opritchina], une politique de l'État avec, entre autres, l'établissement d'une police secrète. Skouratow était le chef des oprichniks, un corps spécial qui a terrorisé le pays avec des incendies volontaires, des pillages et des meurtres. Avec ses propres mains il a étranglé l'archevêque Orthodoxe Philippe II (1507-1569).

Maliouta Skouratov s'approche de Philippe II
Maliouta Skouratov s'approche de Philippe II

Les deux derniers invités

Les deux derniers invités ne sont pas appelés par leur nom dans le roman. Mais du dialogue entre Marguerite et Koroviev nous apprenons qu'il s'agit du Commissaire du peuple d'affaires étrangères – et chef de la police secrète NKVD – Guenrikh Grigoriévitch Iagoda (1891-1938) et son secrétaire Pavel Pavlovitch Boulanov (1895-1938).

Tous les deux sont tombés en disgrâce et ils ont été accusés d'avoir saupoudré les murs du bureau de Nikolaï Ivanovitch Iejov (1936-1938), le successeur de Iagoda, avec du poison. En 1938 ils ont été condamnés et fusillés pendant un procès de spectacle qui est devenu fort célèbre (pour lequel ils avaient été des interrogateurs eux-mêmes au début). Iagoda était un joueur notoire et un coureur de jupons.

Johann Wolfgang von Goethe et Charles Gounod

Dans l'avant-dernière version du Maître et Marguerite, Boulgakov a écrit que Korviev avait présenté deux autres invités comme les «deux derniers», à savoir господин Гёте и господин Шарль Гуно [gospodin Gete i gospodin Charles Gouno] ou monsieur Goethe et monsieur Charles Gounod.

Il s'agit de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1842) et Charles François Gounod (1818-1893), respectivement l'écrivain allemand de la pièce de théâtre et le compositeur français de l'opéra Faust. Ils étaient les deux seuls invités à s'incliner respectueusement devant Marguerite mais sans lui baiser le genou.

Marguerite a offert un cadeau à ces deux invités: ils ont chacun reçu une boîte avec une couronne de laurier d'or «qui peut être portée comme badge d'honneur dans une boutonnière». «Messire vous prie de bien vouloir accepter ces couronnes en mémoire du bal», a-t-elle dit, d'abord à l'un en allemand, puis à l'autre en français.

Adolf Hitler et Joseph Staline

Le réalisateur Iouri Kara (°1954) présente une vision différente sur les deux derniers invités. Dans son film Master i Margarita de 1994, il montre Adolf Hitler (1889-1945) et Joseph Staline (1887-1953), qui montent les escaliers pour saluer Marguerite. Selon Kara, Boulgakov a pensé à eux quand il a écrit: «Les deux derniers invités montaient l’escalier». Mais il n'aurait pas pu relever les noms de ces deux dictateurs parce que, quand il a écrit le roman, ils étaient encore en vie.

Asperger de poison les murs du cabinet

L'histoire des personnes qui aspergent de poison les murs d'un bureau est fondée sur les accusations réelles qui ont été faites en mars de 1938 au cours du procès, dit du Bloc des droitiers et des trotskistes antisoviétiques, aussi appelé le Procès des 21 en incluant, parmi d'autres, Nikolaï Ivanovitch Boukharine (1888-1938), Alekseï Ivanovitch Rykov (1881-1938) et Guenrikh Grigoriévitch Iagoda (1891-1938).

Iagoda avait été renvoyé comme chef du service secret NKVD en 1936 et on suppose que, ayant peur d'être accusé des assassinats de Sergueï Kirov (1886-1934) et de l'auteur Maksime Gorki (1868-1936), il avait, avec son secrétaire Pavel Petrovitch Boulanov (1936-1938), aspergé de poison les murs du bureau de son successeur Nikolaï Ivanovitch Iejov (1895-1940). Iagoda et Boulanov ont été condamnés et fusillés. Boulgakov avait bien compris toute la farce des charges fabriquées et Iagoda et Boulanov rejoignirent les rangs des empoisonneurs imaginaires au bal de Satan.

Soit dit en passant, Iejov susmentionné a un surnom parmi les historiens. Il est surnommé Le commissaire disparu car, après sa propre exécution en 1940, sa présence a été mise à jour sur une photo de presse officielle: «c'est l'un des exemples les plus connus dans la presse soviétique de faire "disparaître" une personne tombée en disgrâce».

Deux hamadryas à crinière léonine

Le traducteur français Claude Ligny a été un peu négligent ici, parce que dans le texte russe il ne s'agit pas d'hamadryas (une sorte de babouins), mais d'hamadryades, (une sorte de nymphes). En effet, Boulgakov a écrit Два гамадрила [dva gamadrila] ou deux hamadryades.

Les hamadryades sont des êtres mythologiques grecques qui vivent dans les arbres. Une hamadryade est une espèce spécifique de dryade, un type particulier de nymphes. Les hamadryades sont nées liées à un arbre spécifique. Si leur arbre est mort, l’hamadryade est morte aussi. Pour cette raison, les dryades et les dieux punissent n'importe quels mortels qui font du mal aux arbres.

Une danse populaire russe

Boulgakov est un peu plus précis que les traducteurs français. Il ne dit pas que les ours blancs exécutaient une danse populaire russe, il dit qu'ils dansaient la камаринская (kamarinskaïa).

Le mot kamarinskaïa est dérivé du nom de la ville de Kamarino. La kamarinskaïa est une chanson de danse russe avec un air court et répétitif et des mots tout à fait grossiers. Une version se présente comme suit: «quel gars étrange es-tu, un paysan de Kamarino, comment tu trébuches dans la rue. Je cours au magasin d'alcool avec une migraine, parce qu'un paysan ne peut pas vivre sans alcool», ou encore: «oh, toi, fils d'une prostituée, moujik (paysan) de Kamarino…»

Quand la kamarinskaïa est chantée ou dansée à un mariage, on ne s'occupe pas trop de la justesse des pas. Les pas grotesques, le secouement des épaules, les mouvements vilains et parfois dégoûtants – tout cela fait partie du jeu.

Vous pouvez écouter une version instrumentale de la kamarinskaïa ici:


En 1848, le compositeur russe Mikhaïl Ivanovitch Glinka (1804-1857) a écrit le poème symphonique Kamarinskaïa dans lequel il a intégré cet air russe populaire.

Mikhaïl Ivanovitch Glinka
Mikhaïl Ivanovitch Glinka

Une salamandre qui faisait des tours de passe-passe dans le foyer ardent d’une cheminée

Au grand bal, Marguerite voit une salamandre magique qui ne brûle pas dans la cheminée. Dans les traditions médiévales on pensait que les salamandres pouvaient survivre aux feux.

Une autre connexion intéressante consiste en ce que la salamandre ignifugée était le symbole du roi français François I (1494-1547), qui était le grand-père de Marguerite de Valois (1551-1615) et le frère de Marguerite de Navarre (1492-1549).

François I
François I


Ses pieds étaient glissés dans des pantoufles éculé

Les apprentis qui sont initiés dans le premier degré de la franc-maçonnerie, doivent remplacer leur chaussure droite par une pantoufle.

Une tête d’homme coupée, dont les dents de devant étaient brisées

La tête de Berlioz sur un plat rappelle évidemment l'histoire biblique de Salomé qui avait demandé à voir la tête de Jean le Baptiste sur un plat.

Salomé avec la tête de Jean le Baptiste
Salomé avec la tête de Jean le Baptiste

Le crâne étant utilisé comme une tasse fait penser à l'histoire du dernier prince russe païen au pays de Rus' de Kyïv, le Prince Sviatoslav Ier de Kyïv (942-972), le père du prince Vladimir Sviatoslavitch le Grand (956-1015) (voir chapitre 18).

Le prince Sviatoslav a été attrapé dans l'embuscade et tué par les Petchenègues (un peuple nomade d'origine turque) quand il a voulu traverser les cataractes près de Khortitsa en 972. La Chronique primaire – un manuscrit russe du 12ème siècle, parfois appelé Conte des années passées et décrivant l'histoire du pays de Rus' d'une manière chrétienne – dit en passant que Kurya, le khan du Petchenègues, a fait un calice de son crâne.

Prince Sviatoslav
Prince Sviatoslav

Il sera donné à chacun selon sa foi

Les mots de Woland: «Il sera donné à chacun selon sa foi» sont une interprétation assez libre de Matthieu 9:29: «Qu'il vous soit fait selon votre foi».

Le baron Meigel

Le prototype réel pour le personnage de Baron Meigel est, sans doute, Baron Boris Sergueïevitch (von) Steiger (1892-1937).

Boris Sergueïevitch (von) Steiger
Boris Sergueïevitch (von) Steiger

Steiger est mentionné plusieurs fois dans le journal d’Ielena Sergueïevna Niourenberg (1893-1970). Il fréquentait souvent les cercles de l'Ambassade américaine et il rédigeait des rapports sur les étrangers ayant d'une façon ou d'une autre un lien avec le théâtre et sur les citoyens soviétiques ayant des contacts avec l'ambassade.

Vous pouvez lire plus au sujet de Boris Sergueïevitch Steiger dans la section Personnages du site web en cliquant la flèche ci-dessous.

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Soutane noire et longue et large épée

À la fin du bal, lorsque le sang du baron Meigel a été recueilli dans le crâne de Berlioz, Woland porta le crâne à ses lèvres, et une métamorphose survint. La chemise de nuit rapiécée et les pantoufles éculées disparurent. Maintenant, il était vêtu d’une soutane noire, une épée d’acier au côté. Au fait, dans le texte original, Boulgakov n'a pas parlé d'une soutane, mais d'une хламида [khlamida] ou chlamyde.

Une chlamyde était une draperie portée par les hommes de la Grèce antique, originaires de la Macédoine et la Thessalie. C’était un morceau de tissu rectangulaire, qui était jetée sur l'épaule gauche et qui était tenue avec une épingle à linge sur l'épaule droite.

La chlamyde noire et l'épée d’acier correspondent au costume d'un Chevalier Kadosh ou Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir, le 30ème degré dans le Rite écossais ancien et accepté.

Marcus Aurelius vêtu d'une chlamyde
Marcus Aurelius vêtu d'une chlamyde


Bois!

D'abord, Woland porte le crâne à ses lèvres, mais il le présente à Marguerite et dit: «Bois». Cela fait référence à l'étanchéité de la confrérie par le mélange du sang lors de l'initiation d'un maçon apprenti. Le mélange est symboliquement représenté par une coupe de vin rouge de laquelle le maître et le candidat boivent ensemble.

Dans le rituel d'initiation pour le degré de Chevalier d'Orient et d'Occident, le XVIIème degré dans le Rite écossais ancien et accepté, le sang joue un rôle important. Les évêques amènent le candidat à un bassin dans lequel ils ont mis un couteau et un peu de vin rouge. Ils approchent le candidat, font tomber quelques gouttes sur son bras alors qu'ils prétendent le saigner. Quand le «sang» coule, il est récolté sur un tissu et montré au candidat avec les mots: «Il ne faut jamais avoir peur de verser son sang pour voir des choses merveilleuses».


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